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Blog, Migration Governance

Après la Libye, la Syrie : vers une nouvelle crise de réfugiés aux frontières de l’Europe ?

Pour la seconde fois en moins d’un an, une crise aiguë de réfugiés se profile au voisinage de l’Europe. Entre la Libye de 2011 et la Syrie de 2012, les parallèles ne manquent pas....

Frontex, l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures, est dans la ligne de mire du Médiateur européen, qui a ouvert une enquête à son encontre sur la question du respect des droits fondamentaux le 6 mars dernier[1]. Cette initiative intervient alors même que l’Agence a été fortement critiquée par la société civile quant aux méthodes utilisées lors de ses opérations.

La création de l’Agence en 2004[2] s’inscrivait dans un contexte où l’approche des migrations était essentiellement centrée sur la sécurité. En effet, suite à l’abolition des contrôles aux frontières intérieures de la zone Schengen[3], la politique d’immigration développée à l’époque au niveau européen s’est essentiellement concentrée sur le renforcement des frontières extérieures. Elle visait notamment à mettre en place des critères communs d’entrée sur le territoire de l’Union, à renforcer les contrôles aux frontières extérieures et à conclure des accords avec des pays tiers – pays d’origine ou de transit – pour une gestion plus efficace des flux migratoires[4].

Cependant, cette approche de la migration principalement centrée sur la sécurité est remise en cause, en particulier par les ONG qui, depuis 10-15 ans, dénoncent les violations des droits de l’Homme auxquelles elle a conduit : traitements inhumains et dégradants, non-respect du droit d’asile, refoulement des migrants, en particulier vers des pays tiers –tels que la Libye – dans lesquels le respect des droits de l’homme n’est pas garanti. La pression est d’autant plus forte que la Charte des droits fondamentaux est juridiquement contraignante depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne et que le Conseil de l’Europe et la Cour européenne des droits de l’Homme se sont déjà prononcés dans ce domaine[5]. Dans ce contexte, Frontex sera-t-elle capable d’évoluer pour intégrer aux côtés de son objectif initial de sécurité celui de respect des droits fondamentaux ?

Dans cette optique, la révision du règlement « Frontex » adoptée en octobre 2011[6] représente une évolution notable, car elle prévoit pour la première fois des mesures concrètes destinées à assurer le respect des droits fondamentaux dans le cadre des activités de l’Agence et consacre le principe de non-refoulement. L’Agence est tenue d’élaborer une stratégie en matière de droits fondamentaux et de mettre en place « un mécanisme efficace » de contrôle de leur respect[7]. Dans ce cadre, sont notamment prévus la nomination d’un officier aux droits fondamentaux, la création d’un forum consultatif sur les droits fondamentaux[8], le développement de programmes de formation prenant en compte les droits fondamentaux et l’adoption de codes de conduite visant à garantir le respect des droits fondamentaux dans toutes les opérations. Les nouvelles dispositions prévoient également la possibilité pour le directeur exécutif de l’agence de suspendre ou de mettre fin à des opérations conjointes et des projets pilotes dans le cas où la violation des droits fondamentaux serait « grave ou susceptible de persister »[9].

Cependant, force est de constater que la plupart des instruments introduits par le règlement n’ont a priori pas de force juridique contraignante (stratégie, codes de conduite, comité consultatif, officier aux droits fondamentaux faisant « régulièrement rapport »[10]) et que le texte du règlement présente de nombreuses zones d’ombre. Comme il ressort de la lettre adressée par le Médiateur européen à Frontex, la portée des dispositions introduites dépendra dans une large mesure de la manière dont l’Agence les mettra en œuvre. Par exemple : quelles seront les véritables responsabilités de l’officier aux droits fondamentaux ? Celui-ci disposera-t-il d’un service lui permettant de contrôler le respect des droits fondamentaux au cours de chaque opération, sur chaque bateau ? Sera-t-il compétent pour recevoir des plaintes d’individus dont les droits fondamentaux ont été violés ? Ou encore : Qui sera tenu responsable de la violation de droits fondamentaux dans le cadre d’opérations conjointes ? Quelles seront les mesures prises en cas de constatation de violation des droits fondamentaux dans Etat membre ou dans un Etat tiers ? Sur quels critères une violation des droits fondamentaux sera-t-elle considérée comme « grave ou susceptible de persister », permettant ainsi de suspendre ou de mettre fin à des opérations ? Cette procédure a-t-elle vocation à s’appliquer également aux opérations de retour dans le pays d’origine ou de transit[11] ? Enfin, le fait que le nouveau texte fournisse à Frontex un cadre juridique pour le traitement des données à caractère personnel laisse de nombreuses questions en suspens, en particulier sur les conditions de collecte, le type d’informations recueillies et le traitement de celles-ci.

L’enquête ouverte par le Médiateur européen est une démarche positive, car elle exigera des clarifications de la part de Frontex quant à la manière dont elle fera respecter les droits fondamentaux dans le cadre de ses activités. Cependant, au-delà de Frontex, il est nécessaire que l’Union européenne fasse évoluer sa politique d’asile et d’immigration vers une conception de la migration non plus seulement orientée par les questions de la sécurité, mais également par la protection des personnes et le droit à la mobilité, ainsi que par la prise en compte de la migration économique en relation avec les besoins des marchés du travail et le développement. En particulier, la politique de collaboration avec des pays tiers devrait être repensée au regard du respect des droits fondamentaux et de la responsabilité de l’Union ou des Etats membres en cas de violation. Dans ce cadre, la Commission européenne a un rôle important à jouer, d’autant plus qu’elle dispose désormais de la possibilité de mettre en demeure un Etat membre, voire de saisir la Cour de justice de l’UE, en cas de non-respect par ce dernier de ses obligations dans le cadre de la politique d’immigration et d’asile.

L’équipe du MPC en collaboration avec Julien Jeandesboz, King’s College, London

Pour lecture :

–          Developing an EU internal security strategy, fighting terrorism and organised crime, Etude du Parlement europeen, 2011, co-redigée par Julien Jeandesboz: http://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/etudes/libe/2011/462423/IPOL-LIBE_ET(2011)462423_EN.pdf

–          Agence Frontex: Quelles garanties pour les Droits de l’Homme?, Groupe des Verts du Parlement européen, Novembre 2010 : http://europeecologie.eu/IMG/pdf/dossier_frontex.pdf

–          Pushed back, pushed around , Human Rights Watch, 21 Septembre 2009: http://www.hrw.org/reports/2009/09/21/pushed-back-pushed-around-0


[3] Intégration des accords de Schengen dans le traité d’Amsterdam, signé en 1997.

[4] Cf. Conclusions des Conseils européens de Tampere (15-16 octobre 1999) et de Séville (21 et 22 juin 2002).

[5] cf. notamment arrêt de la CEDH Hirsi Jamaa and Others v. Italie : http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?action=open&documentId=901571&portal=hbkm&source=externalbydocnumber&table=F69A27FD8FB86142BF01C1166DEA398649

et rapport de la Commission des migrations, des réfugiés et de la population de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe  « Lives lost in the Mediterranean Sea : who is responsible ? » : http://assembly.coe.int/CommitteeDocs/2012/20120329_mig_RPT.EN.pdf

[6]Règlement (UE) N° 1168/2011 modifiant le règlement (CE) n° 2007/2004 : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2011:304:0001:0017:FR:PDF

[7] Nouvel article 26bis par.1.

[8] Seront invités à y participer l’Agence européenne des droits fondamentaux, le Bureau européen d’appui en matière d’asile, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et d’autre organismes concernés, notamment des ONG.

[9] Article 3 par. 1bis.

[10] Nouvel article 26 bis par. 3.

[11] La référence à cette procédure n’apparait pas dans l’article 9 du règlement (UE) N° 1168/2011 consacré aux opérations de retour.

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